LES INROCKS- Février 2010 - AUTEUR : Par Jean-Marie Durand
Aurélie Dupont cherche son entrechat
Allongé, redressé, plié, déployé... Le corps d'Aurélie Dupont se livre à une transe continue. Sur la scène du temple qui l'a faite reine, l'Opéra de Paris, la danseuse étoile file à la vitesse de la lumière dans la voie lactée. Elle capte immédiatement le regard, comme si la grâce de ses déplacements dévoilait ses instants décisifs. C'est au coeur de ce paradoxe apparent, entre la course suffocante de ses gestes repétés et la tentation de fixer chacun d'entre eux, que Cédric Klapisch l'a filmée sporadiquement durant trois ans.
Filmer la danse repose sur une complexe alchimie : saisir en même temps la vivacité du mouvement et sa décomposition. Ce défi de regarder une danseuse en action et d'en percer le mystère créatif trouve dans Aurélie Dupont danse, l'espace d'un instant... (Fipa d'or 2010 catégorie musique et spectacles) un plein accomplissement: l'étoile filante laisse derrière elle des traces que le cinéastes capte en douceur. Plutôt que de s'attacher à la part publique de l'artiste, ousvent exposée dans les magazines, Klapisch se concentre sur le labeur d'une "travailleuse", tenue à une discipline et un engagement absolus pour briller sur les scènesdu monde entier. Le film excède ainsi le cadre d'un portrait classique (sa vie, son oeuvre...), néglige les confessions intimes de la danseuse en préférant observer les confessions secrètes de son corps au travail. Le réalisateur reste difèle tout au long du film à son dispositif de dévoilement : regarder son modèle dans l'épanouissement de son art plutôt que de mettre à nu son statut de star. Lorsque Aurélie Dupont tombe enceinte, le tournage s'arrête et reprend huit mois plus tard, sans qu'on s'attarde sur l'évènement autrement qu'en constatant l'énergie qu'il lui faut pour se remettre en selle ; lorsqu'elle prend le métro pour rentrer chez elle, Klapisch la suit jusqu'en haut des marches de la station, et la laisse partir vers ses horizons personnels... Le chemin du cinéaste le ramène vers les salles de répetition de l'Opéra, où se préparent les ballets (La dame aux camélias, Le lac des cignes, Raymonda de Rudolf Nourrev). Dans Le parc, chorégraphié par Angelin Preljocaj, Aurélie Dumont démontre sa capacité à transgresser les codes rigides de la danse classique pour remettre son corps en jeu dans un exercice de style contemporain.
Klapisch s'attarde sur le travail d'appropriation du ballet mené avec son complice Manuel Legris. A la précision de chaque geste, du glissement d'une main sur une épaule à la manière de se suspendre au cou de son partenaire, se mêle le vertige du discours. Le cinéaste écoute autant qu'il regarde. Sur chaque sensation, les danseurs et leur chorégraphe greffent spontanément des mots, capables de réorienter leurs sauts dans l'espace. Danser, c'est savoir formuler son expérience du mouvement. Le corps parle, au propre comme au figuré. Les mots ont aidé Aurélie Dupont à trouver la forme d'un déplacement, d'une chute, d'une ronde. C'est ce long travail de construction du mouvement, sublime et furtif, que révèle Cédric Klapisch en filmant une danseuse dans la mejesté de son désoeuvrement.
LE FIGARO - Février 2010 - AUTEUR : Par Ariane Bevalier
L'étoile et le cinéaste
Sans doute est-ce pour cela que Serge Lifar inventa pour les grands danseurs le titre d'étoile : leur éclat brille encore longtemps après qu'ils ont quitté la scène. Plus que la technique, plus que la hauteur à laquelle ils effectuent un dégagé, plus que la propreté avec laquelle ils enchaînent les pas, c'est bien leur pouvoir de fascination qui leur vaut le titre suprème. Comme d'autres, Cédric Klapisch a succombé. Il a voulu filmer Aurélie Dupont pendant près de deux ans. Les question qu'il lui pose dans le documentaire diffusé ce soir sur France 3 tiennent en trois phrases : une danseuse étoile a-t-elle une vie normale ? Quitte-t-elle jamais son diadème ? Comme peut-on avoir du plaisir à vivre dans cette discipline là ? Elle répond oui à toutes. On la croit sur parole, mais elle n'explique rien. Jamais
"Quand Cédric Klapisch m'a proposé de faire ce film, je me suis dit : chic, on va voir de la danse bien filmée", dit Aurélie Dupont. La caméra justifie ses réponses. Et c'est bien la vertu essentielle de ce portrait, où les rares interviews ramènent au ras du sol après les scènes de danse qui le font oublier.
Oui, Aurélie Dupont mène une vie normale : on la voit descendre dans le métro à la station Opéra en jeans et stilettos après le spectacle. On la voit aussi enceinte jusqu'aux yeux, guettée par Brigitte Lefèvre, directrice de la danse, qui veut savoir quand elle reviendra sur scène tenir son rôle dans sa programmation. On la voit, longtemps, répétant La dame aux camélias, Le parc d'Angelin Preljocaj (scènes de complicité inoubliables avec Manuel Legris sur l'adagio de Mozart), ou le très classique Raymonda.
Au delà de l'effort.
Elle halète le cheveu en bataille, l'oeil cerné, pâle comme les héroïnes fatiguées. Elle crie, tombe, elle dit qu'elle a mal au pied, qu'elle ne peut ni marcher ni enfiler ses pointes, que c'est trop difficile mais elle continue. Chiqué ? On voit bien que non à cette manière précise que la danseuse a d'être entièrement dans la recherche, au-delà de l'effort.
Comme un écrivain refait ses phrases, indéfiniment, elle remet en question les enchaînements de ses pas. Ici une tête qui soudain pèse dans une main pour signifier la complicité d'une étreinte. Là une manière de passer la jambe et soulever l'énergie pour réussir à enchaîner les terribles trente-deux fouettés du Lac des cignes. L'accent mis sur un soupir, une respiration, un abandon. Ce n'est rien mais c'est tout, et c'est l'art de l'interpète qui est saisi là : modeler son propre corps, dans un dialogue au plus expressif et au plus beau avec son partenaire. Le répétiteur n'a qu'à dire, Aurélie Dupont exécute.
Le film s'ouvre et se ferme sur l'école de danse. Aurélie Dupont, dans un justaucorps bleu comme les filles de "sa division", travaille sous la direction de Claude Bessy. Elle a déjà ce regard qui porte au loin et ne fixe personne. Un regard qui ne trahit ni l'impatience ni l'écoute, pourtant incontestablement très fine. Quand elle danse, elle donne l'impression qu'elle est ailleurs. Sans doute dans la musique qui la traverse comme un cristal. Elle ne le dit pas dans le film, mais elle aurait voulu devenir pianiste.
TÉLÉ OBS- Mars 2010 - AUTEUR : Sylvie Véran
Scènes de vie
Visage ravissant et expressif, charme inné, fausse fragilité et technique parfaite, Aurélie Dupont semble née pour le ballet classique. Bien que très à l'aise dans les pièces contemporaines, cette danseuse étoile a un physique et une personnalité qui font naturellement d'elle une princesse des contes enchantés du répertoire de l'Opéra national de Paris. Une maison où cette jeune femme de 36 ans a fait ses classes depuis l'école. Mais une fois quittés scène et applaudissements, Aurélie retourne à la vie des autres. Impossible de reconnaître en cette jolie fille en jean et blouson de cuir qui se dirige vers le métro celle qui, une demi-heure plus tôt, arborait tutu et diadème. C'est la dualité de cette existence que montre ce très émouvant portrait du réalisateur Cédric Klapisch. Car entre le début de ce documentaire - où l'on voit Aurélie Dupont danser avec son partenaire Manuel Legris, nottament dans Le Parc d'Angelin Preljocaj - et son épilogue, la danseuse a eu un enfant. Etre enceinte dans ce métier de sportif de haut niveau signifie arrêter l'entraînement pendant plusieurs mois, avec la crainte de ne pas retrouver ses formes et sa force physique. Pour une étoile, qui porte le poids de la réussite ou de l'échec d'un spectacle, le retour à la scène après un accouchement est un moment terrifiant. Un moment auquel, depuis les coulisses du palais Garnier, Aurélie Dupont se prépare, visage fermé, respiration courte, avant de se lancer sur le plateau du ballet "Raymonda" dont elle interprète l'héroïne.
La danseuse n'est pas remontée sur scène depuis plus d'un an. Ces dernières semaines, elle a repris le cours du matin à l'Opéra, puis enchaîné les répétitions avec un mal de dos et des pieds gonflés qui peinent à entrer dans les pointes. Clotilde Vayer, maître de ballet la coache. "Tout reviendra naturellement, dit celle-ci. Mon souci, c'est ton mental". Or le mental d'Aurélie en ce soir de grand retour n'est pas au beau fixe, avec la peur au ventre et une cheville qui la fait souffrir."J'espère que je ne vais pas stresser trop longtemps et que je vais pouvoir prendre du plaisir rapidement, dit-elle après avoir pris des nouvelles de son fils. Je me prépare à un marathon". Un marathon finalement couronné par les ovations d'un public acquis d'avance.
TÉLÉ RAMA- Mars 2010 - AUTEUR : Sophie Bourdais
Aurélie pleine de grâce
"Ça valait le temps de passer autant de temps à regarder une jolie fille !" Le 30 Janvier dernier, lors de la cérémonie de clôture du 23eme Festival internationl des programmes audiovisuels (Fipa), le cinéaste Cédric Klapisch transmettait par texto, et par la voix de sa production Agathe Berman, le plaisir que lui procurait le Fipa d'or décerné à son beau documentaire, Aurélie Dupont danse, l'espace d'un instant.
De 2006 à 2009, à la demande d'Agathe Berman qui voulait un film "viril et sensuel", Cédric Klapisch a suivi l'une des plus célèbre danseuse de l'Opéra de Paris : "Je l'avais vue dans un reportage, elle m'impressionnait beaucoup. Et puis j'avais quartier libre pour aller dans les coulisses de l'Opéra, c'est un fantasme total de se trouver là où personne ne peut accéder !".
On lui envierait ce privilège exorbitant s'il n'avait su le partager, avec la complicité d'Aurélie Dupont : "Elle avait envie de montrer le revers du côté gracieux : le transpiration, la fatigue, les moments où elle ne va pas bien. Elle a tout de suite fait comme si la caméra n'était pas là. Et elle a crée entre nous une distance qui m'a permis de m'approcher beaucoup." Au point d'éviter de peu une colision lors d'une répétition du Lac des cygnes...
Cédric Klapisch s'est découvert "un goût pour la danse classique et une envie de la filmer" en réalisant Les poupées russes, dont l'un des personnages est joué par une authentique ballerine russe. Restait à troquer les exigences de la fiction contre celle du documentaire : 'Il n'y a pas de frontière entre les deux, dans les deux cas on raconte une histoire. Mais alors qu'en fiction on filme le champ et le contrechamp, avec la danse de n'est pas possible, il faut tout capter dans l'instant. J'ai vite compris que j'aurais besoin de plusieurs caméras pour démultiplier l'instant". Il en a utilisé trois pour les répétitions, trois autres pour les représentations, om il s'est efforcé d'aller chercher d'autres émotions que celles du spectateur assis dans la salle, de créer une dramaturgie. Quand je filme Aurélie qui danse Raymonda, c'est la première fois qu'elle retourne sur scène depuis sa grossesse, elle a peur. Il y a un suspens, quelque chose de presque hitchcockien".
Regardé par Cédric Klapisch, le spectacle vivant le (re)devient vraiment. On en applaudirait presque son petit écran.