Filmographie / Presse

Le péril jeune
Mars 1994 - AUTEURS : Thomas Guiet et Laurent Devanne

Rencontre avec Cédric Klapisch, le 26 mars 1994, dans un café jouxtant l'université Michelet où nous avons découvert quelques jours auparavant son 2ème film, Le péril jeune.
Très chaleureusement, il accepte de revenir sur son parcours et nous parle de son cinéma, de ce ton mi-réaliste, mi-BD qu'il recherche et qui fait la singularité de Riens du tout.

Comment êtes-vous venu au cinéma ?

C'est difficile de répondre parce que j'ai l'impression que j'ai toujours voulu faire ça. C'est vraiment une envie d'enfance. J'y suis arrivé à la fois par persévérance et par chance. Disons, que dans la logique des choses, j'ai fait des études. J'ai essayé de faire deux fois l'Idhec que j'ai raté deux fois, donc j'ai fait d'autres études: deux années en fac, une à Censier, une à Saint-Denis en cinéma. Puis, je suis parti aux Etats-Unis. C'est vraiment là-bas que j'ai appris à faire du cinéma. J'ai passé deux ans à ne faire que ça. C'est-à-dire qu'on écrivait des courts métrages, on lisait ceux des autres, on corrigeait, ensuite on préparait les films de chacun. Bon, j'étais souvent pris comme chef opérateur parce que j'avais fait pas mal de photos. Donc, assez rapidement j'ai appris la technique de la lumière et à ce moment-là, je me suis dis que j'allais être chef opérateur. Et puis il y a eu un déclic. Le premier film que j'ai fait en deuxième année, c'était le premier truc que j'acceptais de moi et c'est vraiment sur ce film, qui s'appelait Ligne Transit, que j'ai eu envie d'être réalisateur plutôt que chef opérateur. Et puis après ça a été beaucoup de galères ! Je suis revenu en France, mais les choses étaient assez difficiles, j'étais au chômage.

C'était en quelle année ?

En 1985. J'ai réussi à trouver des plans comme électricien sur des tournages et c'est comme ça que j'ai gagné ma vie pendant un moment. J'ai écrit le scénario d'un court métrage qui s'appelle Ce qui me meut. J'ai mis trois ans avant de pouvoir le faire, et c'est pendant cette période-là que c'était assez difficile. Cela correspondait au début de la Sept et c'est grâce à eux que le film a pu se faire. J'avais été refusé par l'aide aux courts métrages, j'avais vaguement eu un prix de Canal+. Mais si je n'avais pas eu à l'époque 200 000 francs de la Sept, je n' aurais pas pu le faire. Et puis, j'ai trouvé les productions Lazennec qui ont produit le film grâce à la Sept. Et ça s'est bien passé avec Lazennec, le film a eu pas mal de prix dans les festivals et ils m'ont proposé d'en faire d'autres.

On vous a proposé d'autres scénarios ?

Non, c'est moi qui ai toujours proposé des scénarios. Comme ça s'est bien passé avec Ce qui me meut, ils m'ont payé l'écriture de Riens du tout. Donc, ça s'est vraiment fait dans la foulée. Assez facilement. Ce qui me meut ne m'a pas rapporté un sou. J'ai fait pas mal de petits boulots, j'ai travaillé dans les films d'entreprises et c'est d'ailleurs quelque chose qui s'est retrouvé dans Riens du tout.

A quel niveau ?

Parce que j'allais dans les entreprises pour me renseigner sur les films que j'écrivais et j'ai rencontré beaucoup de gens qui s'occupaient de communication, de ressources humaines. Sur Riens du tout, c'était plus de la documentation que du vécu. C'est-à-dire que j'ai rencontré le directeur du magasin, le directeur du personnel, les vendeurs, j'ai travaillé une semaine aux Galeries Lafayette pour voir comment cela se passait. C'était plus de l'observation. Le film se base sur ça. Mais une des choses que j' ai appris aux Etats-Unis, c'est de partir de la réalité. J'ai compris, à mes dépens, qu'en France, on est vraiment formé intellectuellement, à théoriser sur les choses et à essayer de trouver les significations qui sont derrière les choses et du coup, on oublie les choses. C'est-à-dire qu'on est un peu trop derrière et pas assez dans les choses. Pour Riens du tout, je n'avais pas envie que l'on me reproche un manque de réalité parce que le projet était lié à cette impression de quotidien et de réalité.

Vous avez été assistant sur Mauvais sang de Léos Carax et sur Havre de Juliet Berto ?

J'ai été électricien. Je ne sais plus quel canard s'était trompé et du coup, j'ai cette réputation.

Et vous y avez appris beaucoup de choses ?

Oui, peut-être même plus que si j'avais été assistant. Quand on est assistant, on est très occupé à travailler pendant que ça tourne, alors que ce qui est agréable dans le travail d'électricien -même si c'est très dur physiquement - c'est que le travail s'arrête au moment où le réalisateur commence à travailler. C'est vrai que le fait de voir des tournages est assez agréable. Après, bizarrement, on ne voit plus les autres travailler, et ça manque vachement. J'aimerais bien voir comment d'autres réalisateurs travaillent avec leur acteurs, préparent leurs tournages.

Avez-vous des contacts avec d'autres jeunes réalisateurs ?

On se connaît pas mal entre jeunes réalisateurs. Comme il y a eu, depuis quelques années, une vague de jeunes réalisateurs de premiers films, on se retrouve beaucoup dans les festivals. Il y a beaucoup de gens que j'ai rencontré à Clermont-Ferrand au festival du court métrage. J'ai travaillé avec deux réalisateurs un moment. On avait envie de se retrouver pour parler de la direction d'acteurs. C'était avec Laurence Feirreira Barbosa qui a fait Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel et Christophe Loizillon qui a seulement fait des courts métrages et des documentaires. On avait fait un atelier de travail avec des acteurs : pendant un an et demi, on se voyait chaque semaine et chacun amenait des acteurs qui acceptaient de travailler bénévolement. Ça a été un atelier de travail très important pour moi. Ca m'a donné un vécu au niveau de la direction d'acteurs, ce qui me manquait vachement.

Y -a-t-il des projets de cinéma qui ont avorté entre Riens du tout et Le péril jeune ? Est-ce que le fait de travailler pour la télévision est pour vous un moyen de ne pas perdre la main ?

Oui, c'était un peu ça l'idée. Je suis en train d'écrire un scénario pour un long métrage que je fais avec Lazennec, donc que j'aurais dû faire théoriquement après Riens du tout. Ce téléfilm (Le péril jeune) n'est pas du tout un bouche-trou, c'était une volonté de faire de la télévision. Je savais que si je faisais ça pour la télévision, j'avais des dates, je devais écrire le scénario en deux mois. J'ai terminé le film, de l'écriture jusqu'à la fin du montage, en huit mois, ce que je ne me serais jamais permis pour un long métrage. C'est cette rapidité qui m'a fait accepter. Et ce n'est pas parce que c'est de la télévision que je ne dois pas en faire. J'ai envie que la télévision soit mieux que ce qu'elle est.

Mais n'auriez-vous pas aimé approfondir ce téléfilm ?

Non, je crois que c'était lié à ce sujet-là. C'était un sujet qui est sorti vite. On s'est rencontré trois semaines, on a écrit le scénario, ensuite on a réécrit, ça a duré deux, trois mois avant de tourner, mais vraiment on l'a sorti d'un coup ! C'est vrai qu'après coup on se pose des questions à propos des films qui coûtent plus chers et qui prennent plus de temps, on se demande si c'est nécessaire.

Oui, absolument.

J'aime bien le film, je le trouve réussi. Mais c'est vrai qu'il y plein de choses qui étaient frustrantes, notamment visuellement parce que je crois que ce qui prend du temps au cinéma, c'est le travail visuel. Dans le film que j'écris en ce moment, il y a une part beaucoup plus grande laissée à l'esthétique et au visuel. J'ai envie de créer des choses. Idéalement, j'aimerais bien faire l'aller-retour entre des films simples, faits rapidement, où je peux me laisser aller et des films qui sont plus des films de recherche.

A propos de votre prochain film, allez-vous vous baser sur la même structure de scénario, c'est-à-dire un groupe et un personnage plus énigmatique ?

Non, pas du tout. C'est l'histoire de trois personnes… disons que c'est l'histoire d'un couple qui attend un enfant. Le film est divisé en deux: quelqu'un, en apprenant qu'il va avoir un enfant, commence à rêver d'un personnage imaginaire, et donc on voit ce personnage imaginaire qui a une histoire complètement à lui dans le film. C'est un film qui fait un peu la synthèse entre tout ce que j'ai fait, parce que ça parle un peu de ce qu'il y a dans Ce qui me meut sur les rapports avec le passé, mais c'est un peu long à expliquer. C'est un peu, un film de science-fiction mais sans fusées ni gadgets.

Est-ce-que vous vous sentez proche de la bande dessinée ?

Ouais, et d'ailleurs, quand je décrivais Riens du tout aux techniciens, la blague était de dire que c'était un film entre Depardon et Tati, entre la BD et le reportage. Ca reposait sur ce paradoxe, ça me plaisait bien. C'est vrai que le film est à la fois très réaliste, il y a un côté reportage et d'autre part, des vrais trucs de BD, des trucs très Margerin, très débiles, très grossiers et j'aime bien ce rapport-là, c'est là-dedans que je me sens bien.

Dans Le péril jeune, vous faites référence à Amarcord de Fellini chez qui on trouve beaucoup de personnages secondaires très typés et c'est aussi le cas dans Riens du tout. Quels rapports entretenez-vous avec le cinéma de Fellini ?

Je crois de plus en plus que c'est la personne qui me touche le plus au cinéma. Peut-être, parce qu'il a, justement, très inscrit dans ses films ce rapport entre le réalisme et la BD, le décalage qu'il peut y avoir entre des choses décrites très précisément, d'une façon très réaliste, c'est-à-dire tout le travail de la première partie de l'oeuvre de Fellini, le néoréalisme et ensuite il a été vers des choses plus oniriques. Oui, c'est ça que j'aime bien chez Fellini. Le fait qu'il n'y a pas vraiment d'opposition entre parler des gens et en même temps prendre du recul et montrer des figures, des choses clownesques ou BD. Ce qui m'intéresse, c'est de dire quel est le rapport entre l'histoire qu'on invente réellement et le fait qu'on le traite avec des choses vraies. C'est le passage de l'un à l'autre, le moment où on ne sait plus si c'est réel ou pas.

Ça donne aussi une accroche au spectateur de jouer sur cette ambiguïté.

Oui, c'est pour ça que dans Riens du tout, j'essaie de multiplier les scènes qui sont plausibles. Tout est possible dans Riens du tout et, en même temps, c'est des trucs qui sont au bord d'être délirants. Comme le cours des sourires, c'est un truc qui existe et pourtant en le voyant à l'écran, on se dit que c'est pas possible. C'est pour ça que je suis très attaché à être près des choses. Parce qu'avec la réalité, on est sûr de toucher une vérité. Par exemple, on peut garder le discours sur : "Le saut à l'élastique, c'est ridicule", mais, en même temps, en le nuançant, en lui donnant de la réalité, il est plus fort et il y a plus d'émotion. De plus en plus, en travaillant, je m'aperçois que la base, le point de départ de tout, c'est l'émotion. C'est-à-dire qu'on partage avec le spectateur une émotion et on essaie de le conduire avec des émotions. Si on veut le faire rire, si on veut lui faire peur, si on veut le faire réfléchir, si on veut transmettre une émotion, il faut essayer d'être le plus proche de lui possible, donc soi-même être proche des personnages. C'est tout un jeu de passages.

Dans chacun de vos films, il y a un personnage qui s'oppose à un système. Par exemple, Roger dans Riens du tout est un jeune employé qui refuse la doctrine du travail et il finit licencié, et Tomazi dans Le péril jeune, s'oppose au système scolaire et finira mal lui aussi. Comment vous placez-vous par rapport à celui qui s'oppose ?

Dans Riens du tout, c'était à la base du film. Quand il y a un groupe, il faut qu'il y ait un pouvoir et un contre-pouvoir et que l'on ne s'en sort pas sans pouvoir et sans contre-pouvoir, ces deux éléments sont nécessaires. Ce n'est pas forcément Roger qui a plus raison que le PDG, mais simplement ces deux personnes-là ont raison mais chacune à leur manière. De la même façon, j'ai essayé de retrouver ça dans l'opposition entre Tomazi et le proviseur. Le proviseur veut que les gens aient leur bac et suivent des études tranquilles, et c'est en soi plutôt sympathique et compréhensible. Tomazi, quant à lui, trouve ça chiant d'aller au lycée et a plutôt envie de fumer et de se shooter, ce qui est également compréhensible. Je n'ai pas de discours de révolte, je ne crois pas que je sois quelqu'un de spécialement révolté. Par contre, je suis quelqu'un de vachement intermédiaire, c'est peut-être pour ça que je peux parler des deux camps, je ne tranche pas. J'ai envie de dire ce que je pense. J'ai envie que les gens disent ce qu'ils pensent et s'opposent quand il y a à s'opposer. En même temps, je vois bien autour de moi, que les gens qui sont réellement opposés et qui sont systématiquement dans cette position d'être "contre", s'en sortent mal. Ces gens-là sont nécessaires mais le vivent mal. En tous cas, c'est un problème qui m'intéresse. J'ai envie de pouvoir me révolter, de pouvoir m'opposer, et en même temps, je me modère. Je suis à la fois quelqu'un d'extrémiste et de modéré.

Peut-on voir dans Le péril jeune un reproche fait aux jeunes face à leur manque d'engagement ?

Non, ça c'est autre chose, c'est une autre lecture. Il y a quand même quelque chose que j'ai envie de dire, c'est qu'à l'époque, il y avait plus d'engagement, il y avait des gens qui croyaient à des choses, qui se battaient plus. Il y a aussi dans le film le fait que c'était aussi pour déconner, pour passer du temps, c'était pas vraiment réfléchi. C'est vrai qu' aujourd'hui, je trouve qu'il y a un manque d'activités, d'activisme, d'opposition. Je suis assez content de voir ce qui se passe dans la rue, ce qui s'est passé à Montparnasse l'autre jour (manifestation contre le C.I.P., ndlr), de voir que enfin ça réexiste. Je crois qu'il y a plein de raisons pour lesquelles ça devrait exister et ça fait du bien de voir que les gens commencent à se battre.

Lien : Kinok
Merci à Laurent Devanne.